Virgile, à la recherche de la rédemption.

Quiconque a fréquenté Virgile suffisamment longtemps sait que ce dernier aime peu parler de son passé. Dès que le sujet est évoqué, l'homme se montre évasif et oriente rapidement la conversation vers d'autres terrains.

Excepté cela, Virgile sait se montrer charmant, et s'efforce d'être courtois avec les gens. Cependant, lorsqu'il s'énerve – ce qui arrive de moins en moins souvent – son langage peut prendre des accents très fleuris, réminiscence de ce que fut son passé. Ses éclats de colère passés, il se répand généralement en excuses pour son comportement.

Virgile est un homme de bientôt trente ans. Grand, il a des allures d'échalas. Les habits qu'il porte, d'une indéfinissable couleur brune, ainsi que la cape rouge foncée, mités, lui donne un air encore plus minable. à cela s'ajoute de longs cheveux bruns rarement lavés et pendant en loque autour d'un visage aminci par les privations successives. Il affiche souvent une barbe de quelques jours et des cernes impressionnantes, qui laissent à penser que sa vie n'est pas des plus faciles – ce qui, en un sens, est le cas. Seuls ses yeux, d'un brun presque rouge, semblent encore vivants chez cet homme.

Armé d'un bâton à l'extrémité lestée, il possède aussi un couteau de chasseur pour dépecer ses proies et une arbalète légère. Il porte également une sacoche de cuir contenant ses maigres effets personnels.

Fut un temps où le royaume était prospère. Le roi gouvernait avec justesse, accompagné dans sa tache par une reine belle et aimante. Un vrai conte de fée, en somme. Mais les conte de fées ne durent jamais éternellement, et celui–ci pris fin brutalement avec la mort de la reine, à la naissance du prince héritier.

De cette période, Virgile ne conserve que peu de souvenir, si ce n'est celui d'un après–midi ensoleillé, passé dans la forêt, quand elle avait encore de la superbe, avec ses parents et son grand frère Lawrence.

Mais le malheur ne toucha pas seulement la famille royale, et très vite, la maladie emporta la mère de Virgile. De même, la guerre avec un autre royaume ne tarda pas à faucher dans la force de l'âge son père, alors soldat dans l'armée du roi. Ne resta plus que les deux frères.

Pour survivre dans ce monde, ils ne tardèrent pas à côtoyer des personnes peu fréquentables, et rejoignirent, pour payer les dettes qu'ils avaient contractées auprès d'eux, une bande de bandits de grand chemin, qui dévalisait les voyageurs et de temps en temps, s'attaquait également aux hameaux isolés. Plus le temps passait, plus les agissements de la bande devenaient violents, et ils ne tardèrent pas à laisser derrière eux des cadavres. Malgré les efforts déployés par la garde du roi pour les arrêter, ils leur échappaient toujours.

Des années passèrent, et le roi se remaria finalement avec une belle jeune femme. Le bonheur, cependant, fut de courte durée, et il ne tarda pas à succomber. Mort naturelle ou non, nul n'était capable de le dire, mais les rumeurs ne tardèrent pas à courir. La reine n'aurait pas hésité à tuer son époux pour s'emparer du pouvoir, et depuis, les choses dans le royaume allaient de mal en pis. Le prince héritier pris la fuite avec ses partisans.

Les choses changèrent aussi pour la bande de bandits. Leur chance tourna, et ils furent capturés par l'armée de la reine. Mais cette dernière, au lieu de les exécuter, leur proposa de rejoindre ses rangs, sous la houlette de son frère. Certains refusèrent, et moururent dans d'atroces souffrances, mais d'autres acceptèrent, parmi lesquels les deux frères.

Les missions qu'ils remplissaient étaient des plus diverses : retrouver des ennemis de la reine et lui ramener, s'infiltrer dans le royaume voisin et espionner…Virgile et Lawrence se firent très vite à cette vie, plongeant encore plus dans la spirale descendante de violence et de mort dans laquelle ils s'étaient engagés. Jusqu'au jour où…

"Courez !"

Ce fut le premier mot que Virgile lui adressa. Instinctivement, il s'empara de sa main et se mit à courir, la trainant presque entre les racines traitresses qui tentaient de les faire trébucher. La forêt avait depuis longtemps perdu tous ses charmes, et était devenue le lieu de résidence de sombres créatures dangereuses. L'une d'elles, d'ailleurs, les avait repéré, et s'était lancé à leur poursuite. Virgile n'avait pas eu l'occasion de la voir, mais il pouvait l'entendre se déplacer, se rapprochant dangereusement. La fille derrière lui haletait, mais arrivait à tenir le rythme.

Par chance, ils atteignirent la lisière de la forêt avant que la créature ne les rattrape. Ils continuèrent cependant leur course sur encore cinquante mètres avant de s'arrêter, essoufflés. Un cri de rage les fit se retourner, et ils purent entrapercevoir, sous les arbres décharnés, une forme sombre qui effectuait des va–et–vient, avant de s'enfoncer dans les profondeurs de la forêt.

"Merci de m'avoir aidé ! Sans vous, j'étais morte."

Avec un grand sourire, la fille tendit la main vers Virgile. Celui–ci, après un instant d'hésitation, la serra. Comment lui expliquer qu'il prévoyait en réalité de la détrousser, et qu'il ne l'avait suivi que pour cela ? Il y renonça, et se dit qu'aujourd'hui serait son jour de bonté.

Il la revit par la suite au château. Esperance, c'était son nom, venait d'un lointain pays, et avait décidé de s'installer ici, ce qui était assez rare, les gens préférant quitter cette contrée maudite. Malgré la sombre réputation qui suivait la bande de bandits à laquelle Virgile faisait partie, elle n'hésitait pas à le côtoyer, lui racontant les merveilles qu'elle avait vues pendant ses nombreux voyages. Et Virgile se laissait bercer par ses récits, rêvant pour la première fois d'une vie autre que celle qu'il menait.

" Et si nous quittions ensemble ce royaume ?"

Alors qu'il avait passé l'après midi avec Esperance, elle posa la question que lui–même se posait de plus en plus.

" Je ne peux pas délaisser le royaume et mon frère. Désolé, Esperance, mais si tu veux partir, je ne pourrais pas t'accompagner.

– Tu es donc aussi fidèle à cette reine maléfique ?" lança la jeune femme, acide.

Virgile prit un temps de réflexion avant d'acquiescer. Esperance afficha un air triste, avant d'afficher son habituel sourire rayonnant.

" Tant pis. J'aurai au moins…"

Des coups à la porte la stoppèrent net dans sa phrase. Esperance échangea un regard surpris avec Virgile, puis se leva pour aller ouvrir, mais avant qu'elle n'ait pu atteindre la porte, cette dernière fut défoncée, et Lawrence entra, suivi par le reste de la troupe.

" Lawrence, que se passe t'il ?" demanda calmement Virgile, bien que déjà sa main glissa vers la poignée de son épée.

" Cette femme est une espionne au service du prince héritier. Maintenant, écarte–toi de là !"

Tout se passa alors très vite – trop vite. Lawrence tira son épée, et s'élança vers Esperance. Virgile s'interposa, et les épées s'entrechoquèrent. La jeune femme en profita pour s'échapper, mais les anciens compagnons de Virgile parvinrent à le maitriser.

Il fut jugé et condamné à l'exil. Il aurait alors pu rejoindre les rangs du prince héritier, mais il demeurait fidèle à la reine, au fond de son cœur, et les actions qu'il avait commises en son nom n'étaient pas facilement pardonnables. Il choisit donc de vivre au cœur de la sombre forêt, se battant tous les jours pour sa survie, mais enfin libre.